Les dividendes demeurent, les salariés sont éjectés
Le géant américain du génie civil fait payer à ses seuls salariés le prix des profits préservés pour ses actionnaires.
C’était le 12 février dernier. À East Peoria, dans l’Illinois, Barack Obama, président des États-Unis, vient, à quelques jours de son adoption par le Congrès, vendre son « plan de relance » à 789 milliards de dollars (620 milliards d’euros), dans le berceau historique de Caterpillar. Le leader mondial des engins de chantier et de génie civil (110 000 salariés dans le monde) vient, fin janvier, d’officialiser son intention de supprimer 22 000 emplois. « Un signal d’alerte urgent pour l’Amérique », considère le nouveau chef d’État. Un bras sur l’épaule de Jim Owens, le patron de Caterpillar, « un des meilleurs PDG que nous avons dans le pays », Barack Obama, toujours cool, se félicite de l’avoir entendu dire que, « si le Congrès vote le plan de relance, cette entreprise pourra demain réembaucher certains des gars qui viennent d’être licenciés ». « Plutôt que de dégraisser, poursuit-il, les entreprises vont pouvoir croître de nouveau ; plutôt que de tailler dans les effectifs, elles vont pouvoir créer de nouveaux emplois. » Quelques heures plus tard, une fois Obama reparti, Jim Owens se lâche devant la presse américaine et c’est le couac : pour le boss de Caterpillar, pas question d’opérer de volte-face sur les embauches. « Il y aura peut-être même des licenciements supplémentaires, glisse-t-il en aparté. Il faut être réaliste et ne pas donner de faux espoirs aux gens. »
Caterpillar ou l’art du trompe-l’oeil : tout en présentant pour la sixième année consécutive des résultats record, tant en chiffre d’affaires (51,3 milliards de dollars, soit 40,3 milliards d’euros) qu’en bénéfice net (+ 3,6 milliards de dollars, + 2,8 milliards d’euros), Jim Owens évoque sans rire une « année extraordinairement difficile ». Dans un communiqué, le PDG de la multinationale américaine dit avoir été littéralement « scié » par la « détérioration de l’économie mondiale au quatrième trimestre 2008 ». Basées sur une prophétie qui voit dans 2009 « l’année la plus faible en termes de croissance depuis l’après-guerre », ces observations globales justifient, pour Caterpillar, la réduction de près d’un quart de ses effectifs sur la planète. « Nous vivons des temps extrêmement incertains et il est impératif pour nous de limiter drastiquement nos coûts de production. C’est sûrement douloureux pour nos employés et nos sous-traitants, mais cela a été rendu absolument nécessaire par les circonstances économiques. » Derrière cette présentation catastrophiste qui sert à présenter l’addition de la crise à ses propres salariés, Caterpillar se pourlèche discrètement les babines devant la multiplication dans le monde entier de « plans de relance » à coups de grands travaux : « Il y aura de l’argent pour la construction d’infrastruc-tures », se félicitent les fabricants de bulldozers et de pelleteuses.
Dans le détail, le plan ne vise qu’une chose, et Caterpillar l’admet sans fard : alors que les dividendes versés aux actionnaires ont triplé en dix ans et que, malgré la tempête financière, il a encore été augmenté de 17 % ces derniers mois, il s’agit en 2009 garantir aux actionnaires un bénéfice de 2,50 dollars (2 euros) par action. « Je suis ravi, se vantait début décembre Jim Owens, que Caterpillar continue de récompenser ses actionnaires à travers le paiement de son dividende, à l’aune des conditions économiques particulièrement difficiles auxquelles doivent faire face beaucoup de nos clients et de l’incertitude qui caractérise les marchés du crédit et du financement. »
Dans ses prévisions de profits pour cette année, Caterpillar se gargarise des « actions déjà initiées » afin de réussir à verser les dividendes à ses actionnaires : 4 000 ouvriers à la rue, 4 500 départs négociés ou retraites anticipées dans l’encadrement, 5 000 licenciements pour le personnel administratif, 8 000 précaires et intérimaires « éliminés », extinction des heures supplémentaires et, là où c’est possible, mise au chômage partiel avec fermeture totale des usines. « Le coût de notre plan de départs négociés ne va pas entraver le versement de 2,50 dollars par action », préviennent encore les vendeurs d’actions de Caterpillar. Pendant que Jim Owens rappelle que « Caterpillar a réussi à traverser avec succès la Grande Dépression, plusieurs récessions, une guerre mondiale et un nombre incalculable de crises » et que « nous avons renforcé nos positions sur les marchés pendant les récessions passées », les personnels paient, eux, les pots cassés : à Grenoble, bien sûr, mais aussi à Rantigny (Oise, 300 salariés), où 120 intérimaires n’ont pas été reconduits fin janvier, et à Gosselies (Belgique, 4 700 salariés), le plus gros site industriel de Caterpillar en Europe, où 500 à 600 précaires ont déjà été mis dehors.